Alors d’où vient l’idée de dominance ?
C’est en 1947 que Rudolf Schenkel publie son ouvrage sur le loup qui devait faire entrer la croyance de la dominance dans l’éducation de nos chiens.
Cette étude publiée à la sortie d’un contexte de guerre repose sur l’observation d’animaux en captivité, dont les individus ont été piochés aux quatre coins du monde. Le biais d'observation que l'on constatera plus tard est que ces observations sont celles d’un milieu restreint en espace et en ressource alimentaire. Inutile de préciser qu’elles ne permettent pas l’expression spontanée des comportements naturels propre à l’espèce.
Au contraire, dans ce contexte stressant, les loups agissent pour leur survie, l'individualité et la sauvegarde d’un minimum de confort. Un parallèle a été fait avec une observation sociologique en milieu carcéral dont les conclusions nous exposerait qu'il s'agit d'une image exhaustive d'une société humaine typique.
Enfin, il ne vous aura pas échappé qu'il existe différentes races de loup (loup gris, loup de l'est, loup des indes, du canada, d'Abissinie, ect.). Les dernières études montrent que ces différentes populations mettent en place des stratégies de nourrissage et de déplacement spécifique et fonction de leur environnement, avec des communications sensiblement différentes. Ici, c'est à un parallèle avec nos différentes cultures que nous pouvons penser. C’est sont donc des individus provenant de "cultures" différentes, confinés dans un environnement pauvre, qui ne peuvent pas s’entendre au sens premier du terme qui ont permis d'aboutir à la théorie de l'alpha de la meute.
En 1966, David Mech devient une autre référence sur les loups. Il publie sa thèse sur l’observation de cet animal fascinant dans les réserves américaines. Il y relaie alors la théorie de la dominance en calquant les conclusions de Schenkel à ses propres observations.
Mais des dizaines d'années d’observations en milieu naturel, dans différentes populations de loup, vont changer sa vision de leur organisation sociale. En 1999, il publie un livre et participe à une émission exprimant que cette vision était complètement erronée.
Il publiera encore et encore en ce sens. Mais son premier écrit, étant une meilleure vente pour l’éditeur, restera toujours plus populaires que 20 années de recherche. Etat de fait qui nous permet de dire que c’est l’idée de dominance qui nous domine, mais pas la réalité et la richesse de la communication des canidés.
J'en arrive au sujet qui nous intéresse ; à savoir la "dominance chez le chien". Cette idée est le présupposé que le chien, parce qu'il possède des ancêtres commun avec les loups actuels, ont la même organisation sociale que ce dernier.
Pour nos chiens, vous aurez compris que la théorie de la dominance repose sur une observation erronée du loup qui est en plus un parallèle douteux entre deux espèces génétiquement cousines, mais différentes ! Pour faire un dernier parallèle, on ne peut pas dire que le système social et la communication des chimpanzés traduisent notre organisation sociale ou notre langage, bien que nous partageons 98 % de nos ADN…
Comparaison d'éléments sociaux du loup et du chien
Système social du loup en milieu naturel | Système social du chien féral* |
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Marquage aux limites d'un territoire | Marquage aléatoire de communication |
Groupe familial généralement peu élargi | Groupe limité, avec des relations affiliatives |
Couple reproducteur | Reproduction opportuniste |
Chasse avec partage des ressources | Opportunisme |
Si vous souhaitez en savoir plus sur la vie des loups et des chiens féraux* (littéralement les chiens errants, retourné à un état de liberté), vous trouverez quelques lectures à la fin de cet article.
L’idée de famille-meute, ou la dominance interspécifique
Il existe encore des ouvrages d’éducation traitant de la dominance entre l’espèce humaine et canine. Il y figure la notion de « famille-meute », qui intègre les deux espèces dans le même système social. C’est oublier la reconnaissance innée de sa propre espèce et ne pas prendre en compte l’intelligence du chien.
Depuis quelques milliers d’années, le chien et l’homme ont une attirance mutuelle qui va orienter nos deux espèces l’une vers l’autre et, entre autre, influer sur la capacité du chien à reconnaitre nos émotions, à nous regarder spontanément et chercher des solutions auprès de nous. Ce don fabuleux ne doit pas être confondus avec de la défiance et ne devrait pas être réorienté pour desservir l’espèce canine.
Dans ces ouvrages on y lit que monter sur le canapé, sauter sur les gens, aboyer, uriner sur les plates-bandes, chevaucher ses congénères, sont autant d’indicateurs de dominance chez le chien, que cela soit sur ses humains ou sur les autres individus de son espèce.
Dans cette théorie, il n’y a ainsi plus besoin de comprendre la communication canine puisque tout est ramené à la dominance, aucune complicité n’est possible sous peine de perdre sa place dans la hiérarchie.
En conclusion, l’humain s’impose des contraintes qui l’empêchent de communiquer avec son chien et créer une relation de confiance et de coopération.
On ne cherche pas à nier l'existence de problème de comportement. Certains choix de communication sont réellement problématique pour l’humain et peuvent mettre a mal la relation avec ses humains ou son espèce. Mais ils devraient faire l’œuvre d’un travail de modification comportemental pour retrouver un équilibre plutôt qu’une tentative de contrôle de la part de l’humain, souvent sous la forme d’une pression psychologique peu enrichissante et qui risque souvent d’exploser.
Vous aurez compris que ce qui nous domine, c’est bien l’idée de dominance. Elle n’est pas nécessaire dans notre relation à l’animal et pire encore elle nous impose un rapport de force inutile.
Si ce sujet vous intéresse, voici quelques lectures ;)
Barry Eaton, "Dominance, mythe ou réalité ?", édition du génie canin, 2010
Luigi Boitani, Paolo Ciucci, "Comparative social ecology of feral dogs and wolves", Article in "Ethology Ecology and Evolution", 2010
John W. S. Bradshaw, Emily J. Blackwell, Rachel A. Casey, "Dominance in domestic dogsduseful construct or bad habit ?" in "Journal of Veterinary Behavior", 2009